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mercredi 1 août 2007

Atelier d'écriture

"Allez au boulot feignasse!"
La Poulette, qui me martyrise

La Poulette, qui rentre de vacances, a estimé en passant sur mon blog que hum-hum-c'est-mou-tout-ça. Pas très inspiré le Moune ces derniers temps. Du blabla, mais rien de très consistant. Peut mieux faire, monsieur, peut mieux faire.

Quand j'ai entendu ça, je me suis recroquevillé dans un coin, et j'ai attendu la sentence. Qui n'a pas tardé. Atelier d'écriture. Elle donne un sujet, j'écris, et plus vite que ça. Remède idéal contre le manque d'inspiration: le retour à la bonne vieille méthode des rédactions du collège.

***

Sujet: la cohabitation dans une maison entre une personne qui vit normalement, et une autre qui vit la tête en bas, au plafond.

"Raphaëlle! A table!"

Le silence me répond. Cordialement, certes, mais ce n'est pas vraiment le problème.

"Raphaëlle!"

Au loin, dans sa chambre, un son vaguement étouffé d'un bout de bois qui tombe au sol, suivi d'un gémissement de désespoir. Je lève les yeux au ciel.

"Tiens, salut Hally!"

Le chat noir passe au-dessus de ma tête et m'ignore avec le même talent que sa maîtresse, se dirigeant droit vers sa gamelle. Qui est vide. Il se tourne vers moi et me lance un regard accusateur. Et si vous aviez déjà vu un chat persan lancer un regard accusateur suspendu à l'envers au plafond, vous sauriez qu'en général on ne peut pas s'empêcher d'avoir l'impression d'être un moins que rien.

"Ne me regarde pas comme ça, je ne suis pas ton maître!" tenté-je de me défendre. "C'est Raph qui doit te nourrir."

Mais mes piètres arguments ne valent pas un clou en face de l'incontestable supériorité de l'esprit félin affamé. Et cette saleté de greffier de se mettre à miauler comme un forcerné en tournant autour de ma tête, la longue queue touffue me heurtant régulièrement la tête.

"RAPH!"

Le vacarme dans la chambre continue, mais la porte ne daigne pas s'ouvrir. Je soupire en secouant la tête avec un air particulièrement exaspéré (il paraît que je le fais très bien), mais comme personne n'est là pour me voir faire, j'arrête mon cinéma et ouvre une boîte pour le chat. Qui se met à rugir littéralement, les yeux exorbités rivés sur l'immonde tambouille en cubes gélatineux. A croire qu'il n'a pas mangé depuis quinze jours, alors que son dernier repas ne date que de ce matin... Je n'arrête pas de dire à Raphaëlle de le nourrir moins, mais ce serait comme lui demander de se comporter comme un être humaine normal... Autant dire que je peux toujours rêver.

J'escalade l'escabeau et déverse le contenu de la boîte dans la gamelle en plastique collée au plafond. La viande gluante se colle contre le fond de l'assiette avec un "shmop" sonore que j'ai toujours détesté, et Hally, de son vrai nom Halley (comme la comète), se rue dessus comme si sa vie en dépendait et engloutit sa ration du soir avec des bruits de mastications qui me font remettre en question mon envie de dîner ce soir. Je range l'escabeau et tourne un peu la purée qui a déjà commencé à se solidifier. Beurk.

"Raphaëlle...
- Quoi? me répond une voix étouffée derrière la porte de sa chambre.
- A TABLE BORDEL!!
- Mais j'essaie depuis tout à l'heure, arrête de crier! Ah... Ah ça y est! J'arrive!"

Et la porte s'ouvre. Raphaëlle apparaît, la tête en bas, comme son chat, et m'offre un regard d'excuse de ses jolis yeux bleus.

Raphaëlle est étudiante à la fois en biologie et en astrophysique, et le pire, c'est qu'elle s'en sort très bien en cumulant les deux. Elle a toujours été plus que brillante. On se connaît depuis le lycée, et elle a toujours été largement devant tout le monde en classe, en particulier en sciences. On aurait dit que cela lui venait naturellement, que les équations différentielles, l'oxydo-réduction ou la physiologie cellulaire étaient aussi faciles à comprendre pour elle qu'un puzzle 3-5 ans pour nous. Certains profs en ont même fait des complexes d'infériorité, sont partis en dépression, et c'est elle qui a fini par assurer leurs cours. De l'avis de tous ceux qui l'ont rencontrée, c'est une fille d'une rare intelligence. Elle a sauté deux classes, ce qui fait qu'elle a deux ans de moins que moi. Elle aurait pu en passer plus, mais elle a décidé de ne pas le faire, pour rester avec moi. Raphaëlle s'est prise d'affection pour moi quand nous sommes rentrés en seconde, et je dois bien avouer que ça a été réciproque.

Cette année, pendant que je repasse ma troisième année de biologie, que j'ai lamentablement plantée malgré mes excellentes notes en physiologie (dues à l'aide précieuse de Raphaëlle), elle travaille d'arrache-pied à son double doctorat, qu'elle vient d'entamer. Et je dois dire que ça ne se passe pas sans heurts.

Raphaëlle et moi vivons en collocation depuis déjà quatre ans. Quand nos parents se sont aperçus qu'il était inutile d'espérer nous séparer après le lycée, et qu'ils ont été rassurés de voir que notre relation n'allait pas au delà de l'amitié, ils ont accepté de nous aider à nous installer ensemble, dans la petite maison qui appartenait à ma grand-mère, non loin du centre-ville. Raphaëlle, à seulement 19 ans, gagne déjà bien sa vie en publiant quelques articles scientifiques dans une revue, tandis que je peine à ramener assez d'argent avec mon petit boulot de serveur dans le resto arabe d'à côté. Mais l'un dans l'autre, on s'en sortait plutôt bien. Jusqu'à ce qu'elle entame ce foutu doctorat.

Je regarde ma colocataire d'un oeil sombre, et son sourire désolé s'agrandit. En général, j'ai beaucoup de mal à résister à ce sourire. Il faut dire que Raphaëlle est vraiment jolie: malgré sa blouse blanche mal repassée, ses cheveux noirs longs et ébouriffés et ses lunettes rondes, elle a un sourire à faire fondre un iceberg et des yeux magnifiques. Sans compter qu'objectivement, elle est quand même sacrément bien foutue. Mais comme je l'ai connue quand elle avait à peine treize ans, je n'ai jamais vraiment réussi à la considérer autrement que comme une amie/petite soeur, et même si elle a pas mal grandi depuis, elle reste la gamine brune qui faisait la moitié de la taille du prof de maths et qui l'a engueulé au premier cours parce qu'il expliquait la trigonométrie comme une savate.

"C'est froid, maintenant, grommelai-je en rallumant le gaz sous la casserole de purée.
- Je suis désolée, j'ai encore du mal à atteindre la poignée... Elle est plus près du sol que du plafond... Je suis trop petite.
- Pourquoi tu fermes cette porte si tu ne peux pas la rouvrir?
- Parce que je l'ai claquée tout à l'heure, tu te souviens? Quand tu m'as engueulée à cause du facteur...
- Tu n'avais qu'à ne pas aller lui ouvrir. Imagine que tu livres un paquet et qu'une nana à moitié à poil t'ouvre avec les pieds collés au plafond!
- Pas ma faute s'il avait le coeur fragile.
- C'est ça..."

Je la regarde s'asseoir au plafond sur la chaise, et la tirer vers elle. Regarder ma meilleure amie dans les yeux avec le menton à 180 degrés est une expérience des plus étranges. J'ai l'impression d'avoir dérangé une chauve-souris pendant sa sieste.

"Tu me fiches le tournis. Ca va durer encore longtemps ce cirque?
- Encore un mois ou deux. Ensuite je démagnétise tout et ce sera comme avant.
- Pfff...
- Tu es sûr, tu ne veux pas essayer?
- Ben tiens, et comment je vais à la fac après?
- Tu sais très bien que l'effet du champ s'arrête à la porte.
- Même. C'est pas... normal.
- T'es pas drôle, Tom. C'est une expérience géniale! Même Hally adore ça!
- Tu veux dire, après qu'il ait passé trois semaines aplati contre le plafond à miauler jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus?
- Il s'est habitué maintenant!
- Ouais, jusqu'à ce qu'on doive le remettre dans le bon sens... Comment c'est, déjà, le sujet de ta thèse?
- "Mécanismes physiorégulateurs d'adaptation et de biorégulation dans le cadre d'une inversion biomagnétique de gravité qui..."
- Laisse tomber, j'ai déjà mal à la tête."

Ce que ce charabia veut dire, c'est que Raphaëlle a truffé la maison de biduloïdes biotechnologiques de son invention, qui ont une puissance plus ou moins forte et qui inversent la gravité de certains objets, qu'elle a enduit plusieurs objets usuels de chlorosulfate de je-ne-sais-pas-quoi pour qu'ils soient attirés par ces champs magnétiques, qu'elle a fait installer des toilettes, un lavabo et une douche au plafond (je ne vous raconte pas l'état de nerfs dans lequel est parti le plombier chargé des travaux) et qu'elle s'est injectée un tas de machins étranges dans les veines pour qu'elle puisse tenir au plafond sans avoir le sang qui monte à la tête tout le temps. Je n'ai pas réussi à comprendre comment ça marche, mais en tout cas, ça marche: ça fait déjà un mois qu'elle vit au plafond.

"C'est prêt.
- Encore de la purée?
- Eh oh, si tu n'es pas contente, tu n'as qu'à sortir de ton chantier archéologique et venir faire la bouffe!
*shmop*, fait la purée en se collant à son assiette tendue.
- Tu es charmant ce soir, me reproche-t-elle en commençant à manger.
- Tu ne te rends pas compte à quel point c'est bizarre d'avoir quelqu'un qui marche au-dessus de sa tête.
- Je te signale que je vis la même chose: quand je te vois, j'ai l'impression que c'est TOI qui est à l'envers.
- Comment tu fais? Ca ne te rend pas dingue de vivre à l'envers?
- Au début c'était dur de s'y retrouver, mais maintenant j'ai l'impression d'être à l'endroit."

Je hausse les épaules et finis mon assiette, puis vais la laver dans l'évier. Raphaëlle finit à son tour, et me regarde d'un air implorant.

"J'ai compris, va. Yaourt à la myrtille?"

Elle acquiesce. Le frigo est la seule chose que j'ai refusé de voir changer de place.

***

Bon allez, je m'arrête là... Je reprendrai peut-être plus tard.

A part ça, ce soir, c'est pasta carbonara.